La rue vue par la rue


Quand des SDF twittent leur quotidien

mardi 26 novembre 2013

Tweets 2 Rue, le bilan de Sébastien un mois après

"Je ne croyais pas que l’initiative Tweets 2 Rue allait être prise au sérieux. Je ne pensais pas que, pour une fois, on allait pouvoir passer le message sur les SDF de cette façon. On a beaucoup essayé des années en arrière, par rapport aux journaux, mais ça n’a pas eu le même impact.

C’est vrai que des fois je reçois de petits messages le soir comme un « bonne nuit » ou « on pense à vous ». Ça  fait bizarre. Je suis sensible à ces attentions. Ça me rassure, et ça me fait plaisirs. J’ai envie de les prendre comme des cadeaux.

Je trouve ça assez poignant. J’aimerai bien papoter plus avec des gens mais je dois avouer que je ne me suis pas encore bien approprié le téléphone.

Pour moi 140 caractères c’est pas assez ! (sourires) Après c’est vrai que c’est pas fait pour écrire des romans. Moi ça me ferait écrire toute la journée si je devais raconter tout ce que je veux raconter. Là faut être bref, alors que moi je mettrais des pages…

Et puis le tweet, c’est comme un texto, il n’y a pas forcément la bonne ponctuation quand il faut, il n’y a pas l’intonation de la voix. Du coup on peut percevoir le message différemment.

Pour ma part, le virtuel ne remplace pas le contact qui peut créer d’autres liens, autres que les seuls encouragements. On peut avoir les encouragement de quelqu’un qui est à 800 km, ce qui est très bien. Mais si cette personne nous encourage à distance elle serait peut être prête à aider ou à échanger plus que ça.

J’aimerai bien qu’à travers mes tweets des personnes puissent s’ouvrir et dépasser les barrières qu’elles se mettent dans la tête par rapport à la perception de certaines choses. Qu’elles sortent de leurs enclos. Il s’agit d’essayer de leur montrer que le SDF c’est quelqu’un de… je sais pas, que c’est un humain ! Malgré tout.

J’ai un logement depuis 3 semaines que je vais garder tout l’hiver. Du coup je me sens moins légitime par rapport à Tweets 2 Rue. Parce que je ne suis plus dehors. Le soir, je rentre, j’ai la lumière, j’ai de quoi me poser, me faire à manger, écouter de la musique… C’est vrai que ça change beaucoup parce qu’à l’origine quand tu es SDF tu n’as rien ! Tu dors dans un local à poubelle, dans un abri de bus. La seule lumière que tu peux avoir c’est celle du lampadaire. Ça me gène un petit peu.

J’ai très mal dormi la première nuit que j’ai passé dans ma chambre. En fait, je n’ai pas réussi à dormir les deux premières nuits. Ça m’a fait bizarre de me retrouver entre 4 murs. J’ai tellement eu l’habitude de dormir dehors dans des endroits où je n’étais pas en sécurité mais où j’ai fini par me sentir en sécurité. Parce qu’au final on finit à se faire à l’idée de plein de choses.

Et là paradoxalement je ne me sentais pas en sécurité. Pourtant j’ai une porte qui ferme à clé. J’ai besoin de ce contact avec l’extérieur. (D’ailleurs quelques jours plus tard Sébastien est allé dormir une nuit dehors, cf son tweet du 16 novembre « J’ai comme envie ce soir de renouer avec ma mère, je crois que cette nuit dame nature veut que je dorme avec elle », ndlr)

J’ai passé 10 ans à la rue donc j’ai connu et ressentis pas mal de saisons, étés comme hivers. Quand on est toujours dehors avec ces cycles ça fait bizarre qu’il y ait une coupure avec un intérieur. Bon il y a des trucs que j’apprécie. Quand je suis dehors que je suis fatigué, ou que je ne suis pas bien, je sais qu’il y a un endroit où je peux aller me poser.

Je repense parfois aux autres à la rue, aux personnes que j’ai côtoyées. Où ils sont ? Qu’est ce qu’ils font ? Est qu’ils ont quelque chose pour dormir ? Comment ça s’est passé ?

Si ça avait été quelques années en arrière j’aurais dit que j’ai eu de la chance. Là je me dis que j’ai une opportunité que j’ai su saisir. J’ai peut être fait ce qu’il fallait au bon moment.

J’ai connu beaucoup de détresse. Il y a des moments où on a envie de s’en sortir et on essaie de chercher les mains qui peuvent se tendre. Mais au moment où on en a besoin, parfois ce  sont elles qui ne sont pas là. Du coup on perd tout espoir et on se dit que ce n’est pas possible d’être récupéré. Alors on se laisse aller un peu plus, on ne croit plus en rien et on n’a plus envie de tout.

Moi ça m’est arrivé plusieurs fois. Un jour j’avais fait les papiers pour un logement. Tout était bon, mais je n’y suis pas allé. Parce que je me disais : «  c’est pas possible, je ne peux pas ». Je ne me sentais pas prêt à assumer le choix d’être à nouveau dans un appartement, d’avoir une autonomie. Pourtant la main était tendue de leur côté. Et c’est moi qui n’étais pas prêt.

Par contre, il y a une fois où je n’en pouvais plus, je voulais m’en sortir. Parce que j’étais en train de plonger complet avec la drogue. J’ai appelé mes parents pour leur demander s’ils pouvaient m’aider, ils n’étaient pas prêts, ils n’ont pas pu. Du coup c’est moi qui ai lâché l’affaire.

Maintenant je me dis qu’il faut savoir prendre toute opportunité et rebondir quand il faut. Se dire qu’il y a eu des échecs, et des échecs il y en a tout le temps dans la vie, le plus important ça n’est pas de tomber, mais de se relever. C’est ne pas se relever qui est un échec.

Avec le recul je me dis que je reviens de loin. J’ai vécu pas mal de choses. Il y en a qui auraient mis le pied dans le vide et seraient tombés. Moi j’ai marché souvent sur le fil. Là maintenant le fil est devenu une corde et voilà je vais un peu mieux !

Je ne pense pas que Tweets 2 Rue m’ait particulièrement aidé parce que j’étais déjà dans un processus dans ma tête. En même temps ça n’est que le début. Il est encore trop tôt pour voir l’impact. Je pense que ça peut apporter des évolutions et ouvrir des portes.

Je twitte suivant mon humeur. Je n’ai pas tweeté pendant un certain temps parce qu’il y aurait surement eu beaucoup de déprime. Tout le monde a ses hauts et ses bas. Je n’avais pas envie de partager ce petit passage à vide. Vu que je n’étais pas très bien je ne voulais pas que les gens ne voient que ce côté là de moi.

Là ça va mieux. Il y a plein de projets autour de moi. Tout repart en floraison. C’est nouveau pour moi d’arriver à me projeter. Avant j’avais certains projets mais sans conviction. J’avais des avenirs sans lendemain. Grâce à mon ex (petite amie) j’ai réussi à reprendre le dessus sur la vie et à être complètement différent.

Et ça j’aimerai qu’elle l’entende. J’aimerai qu’elle comprenne que, mine de rien, c’est grâce à elle, même si ça ne c’est pas bien fini. Aujourd’hui j’ai une petite chambre, je ne suis plus dehors. J’essaie de repartir comme il faut. Je tiens par rapport à l’héroïne. J’ai tenu pendant 4 ans en grande partie grâce à elle. Même si elle n’est plus là elle compte toujours pour moi et l’amour est toujours là, donc je ne replongerai pas. Pour tout ça je la remercie vraiment du fond du coeur."

Sébastien @DjamaikaPtiseb
Le présent bilan, validé par Sébastien avant publication, est toutefois susceptible de connaître quelques modifications après une relecture papier de sa part.

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