Jean-François Corty, médecin et directeur des missions France de Médecins du Monde est l’un des
invités du livetweet de Tweets 2 Rue sur la santé, mercredi prochain (18
décembre) à 15H. Il décortique ici le thème et nous aide à mieux comprendre les
contours d’une problématique à multiples facettes.
Tweets 2 Rue : Il y a-t-il des
maladies spécifiques aux SDF ?
Jean-François Corty :
Il n’y a pas de maladies spécifiques aux SDF, mais des maladies qui relèvent de
la grande précarité, des difficultés à accéder à l’eau, à l’hygiène. Ce sont
d’importants problèmes cutanés comme la galle. Ce sont des infections
respiratoires, qui peuvent rapidement se compliquer. Ce sont des infections
digestives en lien avec les difficultés d’accéder à l’eau propre, comme des
diarrhées infectieuses. Et puis il y a des maladies chroniques comme
l’hypertension ou le diabète. Il y a également de la tuberculose.
Tweets 2 Rue : Le SDF d’hier
ressemble-t-il au SDF d’aujourd’hui ?
Jean-François Corty : Non.
Ce qui a changé ces dernières années c’est une modification du profil des
personnes qui vivent dans la rue. Si il
y a dix quinze ans on pouvait observer un SDF type, français, homme, en rupture
professionnelle voir familiale qui à un moment donné bascule dans la précarité,
ne peut plus assumer et se retrouve dans la rue, on se rend compte aujourd’hui
qu’il y a une grande diversité des personnes dans la rue. Il y a toujours ce
type de profils, mais aussi de plus en plus de familles avec des enfants en bas
âge, des femmes seules, voir des mineurs. Des personnes en situation régulière
d’autre en situation irrégulière. De plus, des enquêtes pour des grands SDF à
la rue révèlent que 30% d’entre eux ont des troubles psychiatriques lourds.
Tweets 2 Rue : Les actuels
dispositifs d’accueil ont-il su évoluer avec les nouveaux profils de personnes
à la rue?
Jean-François Corty : Les
dispositifs ne correspondent pas forcément à la diversité des profils des
personnes. Soit ils sont saturés et les personnes ne peuvent pas y aller soit
certaines familles, avec des enfants en bas âge, ne veulent pas forcément aller
dans des endroits où ils pourraient se retrouver avec des personnes ayant des
troubles psychiatriques.
Tweets 2 Rue : Le taux de suicide chez les SDF est de 15 %,
sept fois plus élevé qu’en prison. Un chiffre méconnu…
Jean-François Corty : On
voit bien que vivre dans la rue c’est être exposé à de la violence au quotidien
et pas exclusivement en hiver. Dans ce contexte de pression physique et
psychologique sur ces personnes, dans un contexte où celles-ci peuvent se
sentir à la marge et avoir des attitudes psychosociales qui consistent à se
dévaloriser, à ne pas penser qu’elles ont des droits et qu’elles peuvent en
bénéficier, on peut comprendre que des risques liés au suicide soient plus
conséquents.
Tweets 2 Rue : La moyenne d’âge de
décès des sans-abri est de 41 ans pour les femmes et de 56 ans pour les hommes.
Comment expliquez vous cela, alors que les femmes en France ont normalement une espérance de vie plus élevée
que les hommes (84 ans contre 77) ?
Jean-François Corty : Il
y a plusieurs explications possibles. Ce que l’on sait c’est que dans des lieux
de violences psychologiques et physiques, je pense notamment à des zones de
conflits, les femmes et les enfants sont plus vulnérables et plus à risque de
morbidité et de mortalité que les hommes. Comme je le disais à la rue c’est une
exposition à de la violence permanente. Vous ne savez pas où vous loger, dans
certaines villes vous n’avez pas le droit de mendier à cause d’arrêtés anti
mendicité, vous êtes chassés d’un endroit à un autre (...) Il y a le l’exposition au froid en hiver, à la
violence de rue, des personnes qui n’ont pas forcément une alimentation régulière
et de qualité qui ne bénéficient pas d’un suivi médico social sur la durée ou
de programme de prévention. Ou qui viennent consulter au stade clinique avancé.
Cela dit pour les hommes l’espérance de vie à la rue reste très inférieure à la
moyenne nationale.
Tweets 2 Rue : Les SDF sont une
mode médiatique en hiver. Que pensez-vous de ce phénomène ?
Jean-François Corty : C’est
clair qu’il y a un problème de représentation, d’abord au niveau du profil du
SDF comme je l’ai expliqué et puis il y a les risques auxquels expose la vie
dans la rue qui sont tout aussi importants en hiver qu’en été. C’est pour cela
que l’on voit des taux de mortalité qui sont réguliers toute l’année. C’est
pour ça que des associations, dont Médecins du Monde, ont milité et militent
pour qu’on cesse d’être dans une gestion au thermomètre des questions relatives
aux SDF.
Jean-François Corty : Le gouvernement actuel s’est engagé depuis le
début de l’année à justement être en rupture avec la gestion saisonnière et au
thermomètre de cette problématique. En proposant qu’il y ait des diagnostics
territoriaux qui soient menés par les Préfectures et qu’il y ait un nombre conséquent de
dispositifs d’hébergement, notamment d’urgence, qui soient ouverts toute
l’année. Au-delà de ces annonces politiques on voit concrètement sur le terrain
qu’il y a encore un grand flou.
Tweets 2 Rue : C’est-à-dire ?
Jean-François Corty : Chaque
Préfecture a la possibilité d’élaborer comme il l’entend son propre plan
d’actions. Il y a, de notre point de vu, un manque de lisibilité et il n’y a
pas de rupture avec l’ancienne stratégie qui consistait à ouvrir des places
exclusivement en hiver pendant le plan grand froid pour ensuite fermer les
places supplémentaires à la fin de la trêve hivernale, en avril, et remettre
tout un tas de personnes à la rue.
Tweets 2 Rue : Pour revenir sur la
santé, certains médecins refusent de prendre la Couverture Médicale Universelle
(CMU). Est-ce la cause principale des difficultés d’accès au soin ?
Jean-François Corty : Il
y a trois niveaux de compréhension pour expliquer le retard de recours au soin
ou les difficultés d’accès au soin des personnes en grande précarité. Le
premier c’est la complexité du droit et la complexité pour ouvrir des droits
tels que la CMU ou l’Aide Médicale d’Etat (AME). Si vous n’avez pas un
travailleur social qui vous aide pour ouvrir ces droits, comprendre le dossier,
savoir quel type de papiers il faut fournir, vous êtes en difficulté. Et de
fait vous n’allez pas être dans une démarche pro active et préventive en
matière de santé.
Tweets 2 Rue : Quel est le second niveau ?
Jean-François Corty : Le
deuxième niveau est l’insuffisance de dispositifs d’accès au soin qui ne sont
pas assez adaptés à ce type de populations, qui ont des difficultés à se
déplacer, qui ont des troubles psychiatriques, qui ont pour un tout un tas de
raisons d’autres priorités que de se soigner et qui vont de ce fait arriver
tardivement en consultation. Les permanences d’accès au soin mobiles permettent
d’être au plus près des personnes qui ont ces difficultés, mais ces dispositifs
restent toutefois insuffisants.
Jean-François Corty : Le
troisième niveau c’est l’existence de
dépassement d’honoraires et de refus de soins. Dans certains endroits, des
personnes ne pourront consulter de médecins parce qu’elles ne sont pas en
capacité de payer les dépassements d’honoraires, (ce qui n’est pas remboursé
par la sécurité sociale ou certaines mutuelles). C’est un frein à l’accès au
soin. Et puis il y a aussi certains médecins qui refusent d’avoir dans leur
patientelle des personnes bénéficiant d’une AME ou CMU. Ça n’est pas un fait
anodin, ça existe mais ça n’est pas l’explication majeure pour expliquer le
retard de recours aux soins.
Tweets 2 Rue : Quelle est la
différence entre la CMU (Couverture Médicale Universelle) et l’AME (Aide
Médicale d’Etat) que vous avez précédemment évoquées ?
Jean-François Corty :
Vous pouvez bénéficier de l’Aide Médicale d’Etat lorsque vous êtes en situation
irrégulière mais que vous pouvez justifier d’au moins 3 mois de présence sur le
territoire et si vous gagnez moins de 600 et quelques euros par mois. Si vous
être en situation régulière, français ou demandeur d’asile vous pouvez
bénéficier de la Couverture Médicale Universelle. Là aussi il faut pouvoir
justifier d’une présence sur le territoire, d’un certains seuil de revenus et
d’une domiciliation.
Tweets 2 Rue : Une
domiciliation ? Comment peuvent faire les SDF qui par définition n’en
n’ont pas ?
Jean-François Corty :
C’est vrai que pour les personnes en situation irrégulière ou pour les SDF
c’est une contrainte administrative lourde. Donc vous pouvez passer par des
centres. Certains centres de Médecins du Monde ou certains CCAS (Centre communal d'action sociale ) peuvent faire office
de lieux de domiciliation.
Jean-François Corty : Il y a plusieurs
approches. Les maraudes, avec des médecins et des infirmières, pour faire les
premiers soins. Le travail de médiation sanitaire et social pour essayer de
sensibiliser, d’informer les personnes sur les droits qu’ils ont sur les
dispositifs qui existent, la possibilité d’être accompagné et aidé. Et d’autres
dispositifs qui doivent monter en charge et que l’on doit évaluer : comme
les équipes médico psy qui existent et qui font l’interface entre la rue et les
différents services hospitaliers.
Tweets 2 Rue : Existe-t-il des
dispositifs spécifiques pour les SDF soufrant de troubles psychiatriques, qui
représentent selon vos chiffres 30% des personnes à la rue ?
Jean-François Corty : Des
dispositifs se mettent en place progressivement pour les personnes avec des
troubles majeurs. A l’image de certaines actions mobiles dans certaines villes,
d’équipe médico psy qui vont dans la rue. On connaît aussi des dispositifs
innovants tels que Housing First, un dispositif pilote porté par la Direction
Générale de la santé sur Paris, Lille, Marseille et Toulouse. Il s’agit de
faire en sorte que des personnes avec des troubles psychiatriques lourds vivant
dans la rue puissent être accompagnées vers des logements en mettant en avant
le principe qui consiste à dire qu’il faut d’abord qu’il y ait un logement pour
qu’ensuite on puisse construire tout autour la prise en charge médicale et
sociale.
Tweets 2 Rue : Que peut
concrètement faire une personne à la rue qui souhaite bénéficier de
soins ?
Jean-François Corty :
Elle
peut aller à l’hôpital dans une permanence d’accès aux soins de santé. Elle est
censée y bénéficier d’une première consultation médicale si nécessaire. Elle
est aussi censée pouvoir voir un travailleur social pour faire un bilan de ses
droits ouverts ou pas et être accompagnée vers une AME ou une CMU. Elle peut
également aller voir des centres de santé de proximité pour les mêmes services.
Il n’y a pas encore suffisamment de centres comme ça et c’est une priorité du
plan quinquennal de lutte contre les exclusions de les faire monter en charge. La
personne peut par ailleurs aller voir des CCAS ou des médecins généralistes. Enfin, elle peut
aller voir des associations, comme la Fondation Abbé Pierre ou Médecins du
Monde par exemple. Pour notre part nous avons des Centres d’Accueil et des Soins
et d’Orientation (CASO). Il y en a une vingtaine en France. Nous y prodiguons les
premiers soins et nous aidons à l’ouverture des droits.
Tweets 2 Rue : Concernant Médecins
du Monde, combien de consultations assurez-vous par an ?
Jean-François Corty : Tout
l’Observatoire d’Accès aux soins et à la santé est construit autour des
consultations dans les CASO, parce que c’est là où nous avons les données les
plus fiables. Nous avons effectué environ 50 000 consultations dans nos
centres. Tout public confondu (dont 30% seulement ont un logement stable). Sur
les actions mobiles on peut rajouter de l’ordre de 40 000 consultations.
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