La rue vue par la rue


Quand des SDF twittent leur quotidien

mardi 19 novembre 2013

Tweets 2 Rue Manu @115toimeme son bilan à un mois


"Tweets 2 Rue permet de se soutenir mutuellement. Et à travers nous d’avoir une pensée pour tout ceux qui sont dans la même situation que nous.
Au départ j’étais un peu méfiant. Je ne fais pas confiance aux médias, bon la radio peut être un peu plus. Ils montrent des images mais pas forcément les vraies. Du moins ça reste très orienté. J’avais peur qu’on instrumentalise mes propos. Je ne voulais pas encore donner une image de pitié des personnes à la rue.
Si j’ai accepté c’est pour avoir un peu de soutien, d’aide dans les moments difficiles et je voulais aussi témoigner de ma propre expérience. J’ai par ailleurs un vrai besoin d’expression. Il y a des jours où tu es plus fort que d’autres, il y a des jours où tu es vulnérable, tu te sens épuisé.

Je ne m’attendais pas à une telle dynamique autour du projet. Au départ, j’avais pris ça un peu comme un jeu. Mais beaucoup de personnes ont réagi et interagi. Avec une pensée, un soutien et ça ça fait plaisir.

Je pense que mes tweets ont paradoxalement aidé certaines personnes qui ne sont pas forcément dans la même situation que moi. Elles croyaient m’aider mais c’est finalement moi, quand on échange, qui les aide. Et ça ça fait plaisir. On se sent utile.

Parfois l’Homme a du mal à se concentrer sur l’essentiel. Notre monde cloisonne les gens, on en oublie les relations humaines. Il y a des personnes aisées mais qui souffrent dans leur quotidien. Mes tweets leur font réfléchir peut être sur leur propre vie, eux qui ont normalement « tout » pour être heureux.

Certains se demandent comment j’ai pu garder cet état d’esprit. C’est dû à mon passé et à tout ce que j’ai subi chez moi. Pour celui qui a connu la guerre, dormir dans le froid ça n’est rien. J’ai vécu bien pire que ça. J’ai compris que nous avons plus de valeurs que les biens matériels.

Ce qui m’a marqué ce sont ces gens qui se mobilisent jour et nuit pour prendre de tes nouvelles. Ça va droit au cœur. Je me pose beaucoup de questions en ce moment par rapport à la vie.

Le plus important pour moi c’est la famille. Mes parents vieillissent et j’aimerai les revoir. Depuis un certain temps j’ai l’impression de les avoir abandonnés. Je suis l’aîné des garçons de la  famille. Je suis parti et eux sont restés.

Il y a une solidarité autour de Tweets 2 Rue et j’espère juste qu’elle est sincère. Pour ma part je n’ai reçu qu’un seul message négatif mais il m’a choqué. Il disait « Les nègres et les SDF devraient pas exister ».
Ce qui est bien c’est que parfois, on passe des rencontres virtuelles au réel. De Twitter tu passes aux SMS puis à des rencontres en vrai.

En tout cas le soutien moral que nous apporte tout ceux qui nous suivent est très important. Certains pensent que ça n’est qu’une question d’argent, comme si l’argent réglait tout ! Ce qui compte avant tout c’est la relation humaine.

Si les choses ne s’améliorent ici pour moi c’est mon dernier hiver en France. Je ne peux pas continuer à vivre à la rue comme un chien. Je vais rentrer chez moi près de mes parents. Même si je sais que si je rentre je serais soit incarcéré soit exécuté. Parce que je n’ai pas été victime de la guerre mais acteur (au sein des forces loyalistes à l’ancien Président ivoirien, ndlr).

Ce que j’ai vécu m’inspire des réflexions sur la société qu’elle soit d’ici ou de là bas. La paix n’est pas rentable pour le marchand d’armes. Certains n’ont aucun intérêt à la paix sociale. Diviser pour mieux régner. Après, tout ça renvoie à des enjeux de pouvoir. D’où toutes les actuelles manipulations politiques…

Qu’est ce que j’attends de Tweets 2 Rue ? J’aimerai que ça devienne une grande famille qui garde ses relations même au-delà du programme. Et pas que chacun se retrouve livré à lui-même. En ce qui me concerne, j’aimerai que Tweets 2 Rue continue à m’apporter un peu plus de force. D’autant que je suis en pleine réflexion par rapport à ma situation.

Je pense que ce qui pourrait faire avancer les choses pour moi serait une formation. Pour me remettre dans une nouvelle dynamique, apprendre un métier. Mentalement je commence à fatiguer, mon avenir m’inquiète. Je suis dehors et je ne peux pas avoir une vie."
Manu @115toimeme

Bilan réalisé quelques jours avant le décès de sa mère...



 

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