« Le plus dur c’est le regard des gens
»
Pour comprendre la situation des personnes
à la rue, Martin, lycéen de 18 ans, avait décidé de passer une semaine dehors,
comme ces sans abris avec qui il échange souvent. Bouleversé par son
expérience, il a dû rentrer le soir même. Il nous explique ici pourquoi, et
partage la violence d’une réalité qui l’a choqué mais qui renforce aujourd’hui
son engagement pour changer les mentalités sur les SDF.
Tweets 2 Rue (T2R) : Comment t’est
venue l’idée d’un tel projet ?
Martin : Quand j’allais au lycée à
Paris je voyais souvent les sans abris dans la rue et je pensais à tous les
préjugés qu’on entend à leur égard. Comme quoi ce sont des gens toujours
alcoolisés, sales, qui ne font pas attention à eux, qui sont violents. J’en
avais déjà rencontrés certains, avec qui je discute d’ailleurs toujours
aujourd’hui, et j’ai voulu me mettre un peu à leur place pour comprendre leur
souffrance et ce qu’ils vivaient réellement.
Tweets 2 Rue : Cette quête est-elle
liée à une histoire personnelle ou familiale ?
Martin : Non. Je viens d’un milieu
aisé. Je n’ai jamais été dans le besoin. Mais je suis très intéressé par une carrière
au service des autres dans l’humanitaire. Dans ma famille, l’initiative en elle
même a été très bien perçue mais pas très bien acceptée. Parce que j’ai 18 ans,
que je ne suis pas forcément une force de la nature pour faire physiquement
face s’il m’arrivait quelque chose dans la rue… Ils étaient surtout inquiets, mais
ils trouvaient que c’était une bonne idée.
Tweets 2 Rue : Tu t’étais un peu
préparé pour cette expérience ?
Martin : Je ne m’étais pas
spécialement préparé pour l’expérience. Parce que justement l’idée de départ
était que du jour au lendemain je me retrouve dans la merde. Du jour au
lendemain je me retrouve plongé dans le monde de la rue. Sans rien. J’avais
juste emporté avec moi un vieux sac de couchage, un pantalon, des chaussures, 2
pulls, un manteau, une petite couverture et c’est tout.
Tweets 2 Rue : Où t’es-tu
installé ?
Martin : Je me suis installé
devant Sc Po. à 7h30. Chaque sans abris a son territoire. Je suis allé
rencontrer les autres sans abris du quartier pour discuter et expliquer ma
démarche afin qu’ils ne la prennent pas d’un mauvais œil. Après je suis allé me
poser seul dans un coin.
Tweets 2 Rue : Tu devais rester une
semaine à la rue, tu as tenu une seule journée. Que s’est-il passé ?
Martin : Je suis resté de 7h30
jusqu’à 20 h. Je devais rester dormir, mais mon amie m’a dit :
« Ecoute vu l’état dans lequel je t’ai vu dans la journée, il est hors de
question que tu dormes dans la rue ». Physiquement ça va, ce n’est pas ça
le pire. On peut s’y habituer. C’est psychologiquement que c’est le plus
dur. Le regard des gens. La portée d’un regard est beaucoup plus forte que des
mots. On y voit de la haine, du mépris, de la gêne, un peu de compassion de
temps en temps, mais c’est rare, de l’indifférence. Et puis l’ennuie vous
consume. On s’ennuie toute la journée. On regarde le feu passer au rouge puis
passer au vert, les gens marcher, raconter leur vie, leurs plans de sorties ou
de soirée. En me mettant à la place de ceux qui restent ainsi toute une année, toute
une vie, c’est horrible ! On a l’impression que le monde nous nargue. Je
comprends que certains puissent sombrer dans des addictions, pour fuir ces
réalités.
Tweets 2 Rue : Comment as-tu vécu ce
renoncement ?
Martin : Au départ, personnellement,
je l’ai vraiment vécu comme un échec. Après, avec un peu de recul, je l’ai pris
comme une leçon. On ne peut pas s’imposer à soi-même la vie d’un sans abris.
C’est du masochisme. Ça vous arrive c’est tout. C’est une situation au départ
qu’on subit. Et c’est violent. Même si après certains finissent par s’y
résigner. Quand je suis rentré chez moi, j’ai pleuré. Pas tant pour moi que
pour les personnes de la rue et leurs réalités que j’avais pris de plein fouet.
J’ai dormi jusqu’à 15 heures le lendemain.
Tweets 2 Rue : Comment l’a pris ton
entourage ?
Martin : Certains m’ont critiqué en
me disant que j’étais nul car je n’avais pas tenu une semaine, que je n’avais
pas eu le courage d’aller au bout de mes engagements… Mais tout ça n’est pas
très important, parce que c’était avant tout pour moi que je le faisais. C’était
une expérience personnelle et initiatique.
Tweets 2 Rue : Quels enseignements
tires-tu de cette expérience ?
Martin : Ça m’a conforté dans ma
volonté d’agir. Qu’il fallait commencer à changer les mentalités. Au lieu
d’arrêter tout ce que j’avais entrepris, j’ai commencé à récolter des témoignages
de sans abris. Pour leur donner la parole et pour ouvrir les yeux des personnes
sur leur condition.
Tweets 2 Rue : De nombreux sans abris
évoquent l’indifférence dont ils sont victimes. Tu confirmes à travers ton
expérience ?
Martin : Il n’y a qu’une seule
personne qui est venue me parler de la journée. Qui m’a demandé pourquoi je me
retrouvais à la rue. Sinon tout le monde passait sans rien dire. Pour demander
de l’aide ou que les gens viennent il faut les aborder et limite les agresser
avec un « bonjour ». Les personnes sont vraiment indifférentes. Vous
n’êtes absolument pas considéré, on ne vous voit même pas. (En une journée de
manche, il a récolté 4,5 euros et 5 cigarettes, ndlr).
Tweets 2 Rue : Comment as-tu réagi ?
Martin : Cette indifférence ?
J’étais choqué. Ça m’a vraiment ouvert les yeux sur le monde. « De toute
façon lui c’est une merde, lui on s’en fout ». Et c’est là que j’ai encore
plus compris que c’était dramatique ce qu’ils (les SDF, ndlr) vivaient. Au fond
de soi-même ça détruit, ça ronge. Vous disparaissez au fur et à mesure. On n’a
plus de confiance en soi, on n’a plus envie de faire quoi que ce soit : ça
tue l’espoir. Et c’est pour ça, à mon avis, que certaines personnes peuvent
sombrer dans l’alcool ou la drogue. C’est horrible, quand tu as tout perdu, que
tu puisses te dire que ta vie est finie, que ta vie maintenant c’est ça…
Tweets 2 Rue : Y a-t-il quelque chose
qui t’a touché plus particulièrement ?
Martin : J’ai vu une personne qui
faisait les poubelles. Ce n’était pas un sans abris, il me semble, mais j’y ai
vu la déchéance, les risques de sombrer. Avoir pleinement conscience que cette personne
demain pouvait très facilement basculer et se retrouver à la rue était quelque
chose de très dur.
Tweets 2 Rue : Quelles réflexions cela
t’a-t-il inspiré de regarder le monde de par terre ?
Martin : Ben déjà on est
spectateur. Parce qu’il n’y a que ça à faire. On assiste à tout et on commence à observer.
Le monde est en soi très silencieux. Il y a le bruit des voitures, mais pas le
bruit des gens. Ils ne parlent pas entre eux. Les gens s’ignorent. Ils sont
dans leur monde. Ils marchent tout droit, comme des robots, isolés dans leurs
pensées. On est tous individuels. Je me rends compte finalement que personne
n’existe dans la société comme je l’ai vue.
Tweets 2 Rue : Et c’est différent chez
les sans abris ?
Martin : Avant la crise, les sans
abris partageaient tout, m’a-t-on expliqué. Ils vivaient un peu en communauté. Aujourd’hui
ils se sont plus individualisés pour survivre. Ils vivent sur leur garde constamment.
Tweets 2 Rue : La rue t’a-t-elle parue
dangereuse ?
Martin : C’est un peu la loi de la
jungle de ce que j’ai pu comprendre. Tu peux te faire détrousser pendant que tu
dors, agresser même pour un duvet. Sans compter les mauvaises rencontres comme
ce SDF qu’on a récemment aspergé d’essence et brûlé vif. Ils n’ont rien, mais
ils ont peur de tout perdre. Ils se battent souvent, habitués à une certaine
violence, pour se protéger. C’est principalement la nuit que c’est dangereux. Pour
les femmes c’est encore une autre histoire. Nelly, sans abris depuis 20 ans,
m’a confié que dans un foyer, elle avait une chance sur 2 de se faire violer.
Tweets 2 Rue : Tu administres une page
Facebook autour de ton expérience. Quels sont les retours que tu as ?
Martin : Les retours sont très
positifs et ça fait chaud au cœur. Certains m’ont dit merci. Que grâce aux
témoignages que j’ai apportés ils ont changé leur regard sur les sans abris. Un
ancien sans abris m’a remercié pour mon « combat contre l’ignorance ».
Tweets 2 Rue : Ton action est une
action de sensibilisation. Quelles autres initiatives te sembleraient efficaces
et pertinentes en la matière ?
Martin : Un jour j’ai vu une
petite fille poser la main sur un SDF en disant à sa mère qu’il fallait aider
cette personne. Sa mère lui a répondu : « touche pas c’est
sale ! ». Pourquoi ne pas commencer par l’éducation des enfants ?
Parce qu’après tout, c’est là que les préjugés et les stéréotypes se
transmettent. Apprendre à l’école à dire SDF ou sans abris à la place de clodo avec
tout ce que ça draine comme images négatives. Apprendre aux jeunes que ça peut
arriver à tout le monde, qu’aucun humain n’est comme ça par plaisir, mais
plutôt par dépit, et que ces personnes méritent, comme tout un chacun, respect
et considération.
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2 commentaires:
Merci
Personnellement je vais être dehors dans quelques jours mais il n'y a pas besoin, en tout cas pour ma part, d'y être, que ce soit pour une expérience ou réellement pour se rendre compte de ce qu'engendre comme valeurs des siècles, si ce n'est des millénaires d'élan d'une société ou l'humain est systématiquement mis de côté au profit de mécanismes monétaristes érigés en quasi divinité. on peut voir ça dans son couple, aux infos, dans son travail mais il faut saluer votre courage qui démontre que vous aviez déjà des valeurs un peu plus humaines et qu'il n'était probablement même pas nécessaire que vous enduriez cette expériences pour en prendre conscience.
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