Séverine, @seselapero, à la rue depuis 7 ans, avait
accueilli Patrick à Toulouse dans le cadre de son roadtrip. Elle avait commencé
à lui montrer la ville et le prendre sous son aile pour lui faciliter la tâche,
mais des problèmes conjugaux lui ont fait prendre des distances au bout de 2
jours. Nous lui avions parlé juste avant. Elle nous livre ici son histoire et
surtout son analyse sur les personnes à la rue.
"Je me faisais une joie d’échanger avec Patrick, de faire
connaissance avec lui en vrai. Sur le tweet, ça restait du virtuel. Je trouvais
ça sympa et j’étais super contente.
Mais j’ai des problèmes de couple. On est au bord de la
rupture. Je n’ai pas de tente assez grande pour pouvoir partir, il faut que je
m’en achète une. Du coup c’est galère par rapport à Patrick.
Je suis déçu par mon compagnon, il m’a pété le moral. Il a
fait la gueule toute la soirée le premier jour et ça ne s’est pas amélioré
ensuite. J’ai commencé à faire faire à Patrick le tour de la ville : le
Capitol, la mairie, l’Office du Tourisme (pour récupérer un plan de la ville),
lui donner quelques adresses ici.
Une femme à la rue
est rarement seule
Moi ça fait à peu près 7 ans que je suis à la rue. J’y suis
depuis un peu avant mes 25 ans, j’en ai eu 32 en novembre dernier. Tout a commencé
le jour où j’ai quitté mon mari pour violences conjugales.
Je ne me considère pas comme une femme battue puisque je
rendais les coups, mais c’était extrêmement violent. Il y a eu des mains
courantes, des dépôts de plaintes.
J’ai été un temps dans des foyers sécurisés, mais il retrouvait
ma trace à chaque fois. Il passait par une recherche dans l’intérêt des familles.
Il me menaçait de mort. J’ai alors été déplacée de foyer en foyer. Pendant un
an.
J’en ai eu ras-le-bol qu’on me prenne pour un sac de voyage,
alors je me suis cassée.
Une femme à la rue est rarement seule. Elle se met
rapidement en couple pour éviter les problèmes. Mais moi je venais de sortir
d’une relation très difficile, moralement j’avais bien trinqué.
Bon il faut dire que j’ai un avantage. Je n’ai pas vraiment
un physique classique de femme. Tu vois un rugbyman ? C’est un beau bébé
par rapport à moi (rires). J’ai une bonne carrure et pas la langue dans ma
poche. Et quand il faut cogner je cogne. Je ne me suis jamais faite agresser
jusqu’ici.
3 catégories de
femmes à la rue
Il faut savoir qu’il y a 3 catégories de femmes à la rue. Il
y a les femmes-bonhomme (un peu comme moi), les femmes faciles (qui cherche à
avoir de la protection) et une autre catégorie, très discrète, qui travaille,
qui est propre sur elle, mais qui est à la rue. Ces femmes qui n’arrivent pas à
s’en sortir, qui gagnent trop pour entrer en HLM et pas assez pour le privé.
J’ai remarqué qu’il y a énormément de personnes à la rue qui
viennent de l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance, ndlr) ou de la DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et
Sociales, ndlr). Quand on se retrouve à la rue, c’est souvent qu’au départ il y
eu d’une manière ou d’une autre une histoire familiale pas top. J’en avais
discuté avec une travailleuse sociale qui faisait le même constat que moi.
Difficile de garder un travail quand tu ne peux pas
rester propre
Je n’ai jamais eu de
problème pour trouver du boulot. Ça va quand tu peux prendre une douche sur
place, comme pendant les vendanges par exemple. Quand tu n’as pas la
possibilité de te laver, après une semaine tu ne te sens pas bien, tu te sens
crasseuse. Ajouté à cela le manque de sommeil, parce qu’à la rue tu ne réussi
pas à dormir correctement, ça devient très compliqué.
Olivier mon compagnon
actuel travaille comme ouvrier, il n’aurait jamais eu de CDI s’il ne pouvait
pas prendre une douche au travail. Personne à son boulot ne sait qu’il est à la
rue.
Je suis prioritaire
DALO (Droit Au Logement Opposable, ndlr). Mon dossier est complet, donc
j’attends. C’est gavant. Soit ça se débloque et j’arrive à avoir un appart et
je me trouve rapidement un boulot, soit je reste comme ça à la rue.
A la rue tu es obligée d’acheter à manger au jour
le jour
Avec un RSA on ne vit
pas. D’autant que j’ai 5 chiens dont 3 à mon nom. Entre les nourrir (2 sacs de
20 kg de croquettes durent environ 3 semaines) et les emmener chez le véto
quand il y a un problème... Et puis à la rue, tu es obligée d’acheter à manger
au jour le jour. Tu ne peux rien conserver ou stocker. Ça revient très vite
cher. Après il y a le tabac. Je me ruine en tabac. C’est devenu un produit de
luxe.
Je n’ai jamais eu de
problème pour trouver du boulot. Parce que je ne suis pas regardante. Le
problème c’est le garder pour les raisons que j’ai expliquées tout à l’heure.
J’ai une formation de secrétaire médicale, j’ai fait de la plomberie, de la
sécurité, j’ai été aide-soignante dans une maison de retraite, j’ai été aide à
domicile, j’ai aussi fait 4 ans de caisse à LIDL.
Mes chiens c’est ma famille
Le fait que j’ai mes
chiens n’aide pas retrouver une situation. Est-ce que je pourrai renoncer à mes
chiens ? On me l’a toujours demandé. Comme les assistantes sociales par
exemple. Alors je leur demande si elles ont des enfants. Et je leur demande si
elles abonneraient leurs gosses pour avoir un logement.
Mes chiens se sont
mes enfants, ma famille. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai
du mal à me séparer de mon compagnon. L’idée de perdre la moitié de ma meute me
coupe le moral.
J’ai appris à marcher
avec des chiens. Je n’ai pas un seul souvenir de jeunesse ou de vie où je
n’avais pas un chien auprès de moi.
La discrimination
positive c’est toujours de la discrimination
Moi il y a quand même
une chose qui m’exaspère. Dans ma recherche d’appart, j’avais contacté la Ligue
des Droits de l’Homme. Et on m’a répondu texto : « Ah vous êtes
française, on ne peut rien faire pour vous ». J’ai l’impression que c’est
plus facile d’être Rom pour trouver des solutions d’hébergement. Il y a même
des subventions européennes spécifiques pour les collectivités sur cette
question.
La discrimination positive c’est toujours de la
discrimination, tu discrimines juste quelqu’un d’autre alors que pour les
personnes à la rue, on est tous logés à la même enseigne"
@seselapero
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